mardi 7 décembre 2010

Moon Palace de Paul Auster

Quatrième de couverture

Marco Stanley Fogg raconte ici les circonstances étranges qui ont marqué sa vie, depuis son arrivée à New York en 1965 jusqu'à ce que, sept ans plus tard, il découvre l'identité de son père... à temps pour assister à son enterrement. Et ses amours, ses rencontres, sa misère, ses errances dans les paysages mythiques de l'Amérique rêvée constituent le matériau d'un formidable roman d'aventures en même temps qu'elles apparaissent comme les étapes d'un voyage initiatique aux confins de la solitude et de la déréliction.
 

Il s'agit de ma troisième relecture de ce roman. J’y ai retrouvé tout ce qui m’avait initialement charmé chez l'auteur  : le road movie avec le temps qui passe, les rencontres et les séparations au fil des errances, les rites de passage, les quêtes initiatiques et l’exploration de nouveaux territoires, les mises en abymes, la récursivité via les notices biographiques et la présence d’un roman dans le roman mais aussi le sentiment de solitude, la mort, la question de la subsistance et de l’argent pour y subvenir, la quête de l’identité, l’usurpation d’identité, la paternité et la filiation, la transmission, la fuite et la rupture, le hasard et les coïncidences, le manque de repère, enfin bref toutes les thématiques habituelles de Paul Auster condensées avec bonheur dans ce roman qui représente toujours à mes yeux la quintessence de son œuvre.

Mais aussi présents que soit la lune ou ce sentiment d’étrangeté et de singularité dont ne se départissent jamais ses personnages principaux, Paul Auster nous convie avant tout à un road movie typiquement américain. Aussi nous amène-t-il, en quelques coups de pinceaux à peine ébauchés, vers quelques hauts faits historiques américains tels que l’expédition Donner, les Palmer raids, le lynchage des Wooblies , la colonie perdue de Roanoke etc etc

Mais il y a surtout un personnage historique essentiel dont l’ombre plane constamment au-dessus du roman qui n’est autre que Nikola Tesla, cet inventeur un peu fou tant par son intelligence que par ses particularités et son originalité. Comment ai-je pu passer à côté de Tesla au cours de mes lectures précédentes ? Ce personnage romanesque à souhait hante ce roman à plusieurs reprises, mais comment aurait-il pu en être autrement tant Tesla représente le personnage austérien par excellence ? En évoquant le médiocre Julian Hawthorne (le fils de Nathaniel Hawthorne), Paul Auster rappelle que de nombreux contemporains de Tesla voyaient en lui un extra-terrestre chargé d’une mission divine de communication avec les humains. Référence une nouvelle fois à l'étrangeté, à l’incommunicabilité, à la solitude d’un homme pas comme les autres, totalement en marge de la société consumériste et scientifique, Paul Auster ne pouvait pas passer à côté d’une telle figure mythique américaine.

Moon Palace est un roman qui peut se lire et se relire sans fin tant de nombreuses références historiques, symboliques et philosophiques jalonnent toute l’œuvre. On est certain d’y découvrir à chaque fois un nouvel élément qui nous avait avait échappé, un clin d’œil, une référence. Le fait d'avoir lu dernièrement Des éclairs de Jean Echenoz a contribué grandement à mon changement de perspective quant à la présence de Tesla dans ce récit. Je n'en ai décidément pas encore terminé avec ce roman.

Une borne à incendie, un taxi, une bouffée de vapeur surgissait d'un trottoir - ils m'étaient familiers, il me semblait les connaître par coeur. Mais c'était compter sans leur mutabilité, leur manière de se transformer selon la force et l'angle de la lumière, la façon dont leur aspect pouvait être modifié par ce qui arrivait autour d'eux : un passant, un coup de vent soudain, un reflet inattendu. Tout se mouvait en un flux constant, et si deux briques, dans un mur, pouvaient se ressembler très fort, à l'analyse elles ne se révéleraient jamais identiques. Mieux, une même brique n'était jamais la même, en vérité. Elle s'usait, se délabrait imperceptiblement sous les effets de l'atmosphère, du froid, de la chaleur, des orages qui l'agressaient, et à la longue, si on pouvait l'observer au-delà des siècles, elle disparaîtrait. Tout objet inanimé était en train de se désintégrer, tout être vivant de mourir. Mon cerveau se prenait de palpitations lorsque je pensais à tout cela et me représentais les mouvements furieux et désordonnés des molécules, les incessantes explosions de la matière, les collisions, le chaos en ébullition sous la surface de toutes choses.

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