vendredi 1 mai 2009

Amours défendues d'Alissa York

Je vous avais dit tout le bien que je pensais d’ Effigie, deuxième roman d’Alissa York.  J’avais d’emblée annoncé, à la fin du billet, que j’allais sans nul doute lire son premier roman sans penser à ce moment là que cette lecture serait si proche dans le temps. Mais lorsque je suis tombée dessus par hasard dans une bouquinerie d’occasion, je n’ai pas hésité une seconde à l’acheter. Je pensais qu’il attendrait bien quelques mois dans ma PAL mais c’était sans compter le fait que j’allais lire les premières pages dans le métro, premières pages qui m’ont tout de suite ferrée au récit. Embarquée, je l’étais bel et bien. Et c’est donc très naturellement que j’ai poursuivi ma lecture, avec plus ou moins de bonheur. Mais avant d’aller plus loin dans le compte-rendu de mes impressions, je vais vous raconter l’histoire de ce premier roman d’Alissa York,  qui s’intitule très justement « Amours défendues ».
 
Thomas était arrivé dans la petite ville de Miséricorde de Manitoba dans l’intention d’ouvrir sa boucherie et son abattoir. Il savait mieux que personne qu’abattre les animaux était un métier en soi, et ce n’était pas ses clientes, pour lesquelles il réservait les meilleurs morceaux et prêtait toujours une oreille attentive à leur bavardage, qui le contrediraient.  Elles vous diraient même qu’elles étaient impressionnées par ses grandes mains étonnamment agiles pour leur taille. Il aurait d’ailleurs pu faire son choix dans le village, ce ne sont pas les occasions qui manquèrent mais Thomas n’avait d’yeux que pour Mathilda, la première personne à qui il avait parlé en arrivant à Miséricorde, tout gris de la poussière de la route et empestant le porc. 
 
Mathilda est la nièce de la gouvernante du curé, une jeune fille adoptée par sa tante qui la retira de l’orphelinat dans lequel l’avait placée son père volage et disparu depuis lors. Mathilda était trop jeune pour se marier à l’époque, raison pour laquelle Thomas attendit quatre longues années avant de la demander en mariage, le jour de ses dix-neuf ans. Une proposition que Mathilda ne put refuser, sur l’insistance de sa tante :
 
« Par pitié, Mathilda, souris. Tu t’attendais à un jardin de roses ?  A avoir le cœur qui palpite rien qu’en le regardant ?
[…] Tu es la nièce bâtarde de la bonne à tout faire de l’église, tu  n’as pas un sou à toi et tu n’es pas non plus d’une grande beauté, mais celui-là, celui-là est venu supplier d’avoir ta main. Elle poursuit, les dents serrées.  « Tu devrais rire.  Tu devrais te tenir les côtes devant tant de chance, alors fais au moins un sourire ! ».
 
Mais ce n’est pas facile pour Mathilda d’oublier le sang incrusté sous les ongles de Thomas, de ne pas sentir les effluves de cette odeur forte d’abats, d’oignons et de poivres mélangés qu’il pétrissait de ses mains puissantes pour confectionner les boudins noirs, une odeur qui s’incruste et qui persiste sans qu’il soit possible de s’en débarrasser  même si on se récure à fond.
 
Ce précaire équilibre se trouvera chamboulé le jour où le père de la paroisse décèdera, très rapidement remplacé par le jeune père August Day, un jeune homme qui connut l’enfance humiliée en étant le fils d’une prostituée.  August Day qui récite en latin les paraboles avec tellement de légèreté et d’emphase que Mathilda ne tarde pas à le regarder non comme un homme de Dieu mais comme un homme de chair et de sang. Entre les mains puissantes du boucher et le sang des beaufs qui coule à flots et les mains délicates du père Day qui offre le sang et le corps du Christ en communion en déposant l’hostie de ses doigts fins sur la bout de sa langue, Mathilda n’hésite pas à faire son choix en se rapprochant du père Day. Et si le lit marital reste froid, le confessionnal quant à lui s’enflamme de la passion dévastatrice de deux corps qui n’auraient jamais dû se rencontrer.  Le père Day résiste d’autant moins à Mathilda qu’elle sent la… saucisse, et que les saucisses avaient toujours été le plat préféré du  père Day, avant qu’il décide d’y renoncer définitivement tellement elles lui inspiraient un désir si puissant qu’il avait jugé préférable de s’en abstenir.
 
« Le boucher a dû en fabriquer un lot.  Il a l’impression qu’elle les porte en guirlande, tant l’odeur est forte. »
 
Mais le jour où Mathilda tombera enceinte du père Day, celui-ci n’hésitera pas à la rejeter avec rudesse…
 
Un demi-siècle plus tard, une nuit de juin 2003, un autre prêtre, Cari Mann, un veuf dont la fille de trois ans est autiste, arrive à Miséricorde. Il souhaite construire un édifice dans les marécages à la lisière de la ville. Mais ce projet va à l'encontre de la volonté de Mary, la fille de Mathilda, élevée dans la tourbière.
 
Quel roman plein de rages, de violences, de trahisons, de désespérances ! Que de ravages, de tourments, de tentations, de culpabilités ! Que de sang, de larmes et de souffrances ! Nous voilà bien dans un roman d’Alissa York : je retrouve tous ses thèmes de prédilection, qu’elle avait déjà développés dans son deuxième roman « Effigie ».  Le difficile rapport à la foi, les amours interdites, le tumulte des sensations et des passions dévastatrices, le poids du passé, l’enfance douloureuse, l’importance du corps et des organes, du sang et des viscères, même l’indien et le loup ne manquent pas à l’appel ! Il n’en demeure pas moins que ces thèmes seront traités différemment dans ces deux romans. Je mesure également la maturité qu’elle a développée entre son premier roman « Amours défendues » et son deuxième roman « Effigie », plus abouti et mieux mené.
Il n’en reste pas moins que la première partie d’ « Amours défendues » est de très bonne facture. J’ai nettement moins apprécié le deuxième volet qui se situe dans le temps cinquante ans plus tard.  Je ne comprends pas très bien ce que cette partie apporte de plus si ce n’est une note finale moins négative que celle qui aurait eu lieu si elle s’était contentée du premier volet. 


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