jeudi 19 mars 2009

Effigie de Alissa York

Dans la communauté mormone de l'Utah en 1860, Erastus Hammer, éleveur de chevaux et chasseur renommé, est un mormon prospère vivant dans son ranch isolé en compagnie de ses quatre épouses : sa première épouse Sœur Ursula, une femme aussi pieuse que rigide qui dirige d’une main de fer la vie courante du ranch et l’éducation des enfants, la seconde épouse Sœur Ruth, éleveuse de vers à soie et mère biologique de tous les enfants de la ferme, la troisième épouse Sœur Thankful, femme sensuelle et aguicheuse qui se flatte d’être la compagne sexuelle quotidienne d’Erastus et la quatrième épouse Sœur Dorrie, qui n’est encore qu’une enfant discrète et solitaire le jour de son mariage.

Dorrie doit cette place de quatrième épouse à sa passion pour la taxidermie : Erastus voit là un excellent moyen de s’entourer de ses trophées de chasse qui flattent son égo, même si ses talents de chasseur se sont considérablement amoindris depuis qu’il connait des problèmes de vue, raison pour laquelle il doit ses récents exploits à l’excellent chasseur indien païute qui l’accompagne à tous ses déplacements. Dorrie est une enfant étrange qui ne se souvient plus de son passé jusqu’au jour où son mari lui rapporte à la maison une louve et ses petits destinés à compléter sa collection de trophées de chasse. A partir de cet instant, elle ne cessera de rêver la nuit de nuées d’oiseaux, de loups dévoreurs de cadavres et d’horribles scènes de violences et de tueries.

Bendy Drown, le nouveau garçon d’écurie du ranch Hammer, remarque cette jeune fille solitaire et décide de l’apprivoiser à l’insu de tous. Les adolescents se rapprocheront dans un jeu dangereux au sein de ce ménage mormon tendu par l’envie et les jalousies. Pendant ce temps, un loup rôde sur les terres de Hammer à la recherche de la famille qu’il a perdue. Sa quête nocturne dévoilera les tensions et les secrets de cette famille mormone polygame...


« Effigie » est le deuxième roman de la Canadienne Alissa York, considérée comme l’une des auteures les plus originales des lettres anglo-saxonnes.

Fiction historique au souffle puissant, avec en toile de fond le massacre de Moutain Meadows, (massacre perpétré en Utah en 1857 et dans lequel une centaine de migrants venus du Missouri furent massacrés par un groupe de mormons et indiens païutes), l’ouest américain de la ruée vers l’or et l’implantation de la communauté mormone, Alissa York n’en oublie pas pour autant ses personnages en leur donnant la parole à tour de rôle avec subtilité pour mieux disséquer leurs pensées, envies, tourments mais également l’origine pour chacun d’eux de leur adhésion à la communauté mormone.

Des scènes oniriques de la petite Dorrie côtoient des passages plus réalistes mais également plus âpres, notamment ceux concernant la taxidermie, où l’auteur nous décrit dans le moindre détail les techniques de la taxidermie et les opérations de dépeçage, pas toujours très ragoutants. Outre une certaine fascination de l’auteur pour le dépeçage, le sang, les organes, la charogne et les prédateurs en tous genres, nous retrouvons dans ce roman une certaine sauvagerie et animalité, composées de violences autant psychologiques que physiques, imposées par les conditions de vie très rudes de l’époque mais également induites par les rancœurs multiples de chaque membre de la famille Hammer, certains dévorés par la jalousie et les rivalités mais tous réunis par la foi. C’est dans cette atmosphère sourde et inquiétante que nous pressentons d’emblée, dès les premières pages, l’imminence du drame à venir dans ce monde clos qu’est le ranch de la famille Hammer.

J’ai beaucoup aimé « Effigie », et lirai sans aucun doute son premier roman, « Amours défendus », best-seller dans son pays. Notez que son style d’écriture et la multiplicité des points de vue demandent de la concentration, du temps et une attention soutenue. A lire donc si vous avez du temps et du calme autour de vous, sinon passez votre chemin ou reportez votre lecture en attendant de réunir les conditions voulues ;-)


Citation :

Et si, par le miracle du dédoublement, elle était capable de s’empailler elle-même ? Cette pensée était apaisante, presque soporifique. Elle sentit ses membres abandonner toute résistance, sentit son cœur se contenir et se ralentir.

Ce serait quelque chose de détacher sa peau fine, de débarrasser son corps de tous ses boyaux. D’enlever la matière gris-bleu de son crâne bombé, de contempler cet espace vide par les orbites qui avaient abrité ses yeux. Quelle taille de globes lui faudrait-il ? Elle pourrait en peindre une paire avec fidélité, marron foncé comme les siens, ou elle pourrait faire quelque chose d’audacieux, choisir une paire d’yeux de biche, peut-être. Un regard si doux, si indulgent.

D’autres changements seraient possibles. Elle pourrait avancer les yeux – de biche ou autre – dans les orbites, rembourrer les joues et le nez. Ce ne serait pas un mensonge, juste présenter son spécimen à son avantage. N’avait-elle pas réparé la courbure de la queue du chat de la grange, redressé l’os de l’aile cassée du faucon ?



☆☆☆☆


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