samedi 20 décembre 2008

L'annulaire de Yôko Ogawa

La narratrice, dont nous ne connaîtrons jamais l’identité, travaille depuis bientôt un an comme assistante et réceptionniste auprès de M. Deshimaru, directeur d'un laboratoire de spécimens. M. Deshimaru est un taxidermiste d’un genre un peu particulier à la clientèle tout aussi particulière : il recueille, analyse et enferme à jamais les blessures et les souvenirs des personnes qui désirent se détacher de ces vestiges en les laissant à demeure au laboratoire.

C’est un léger incident qui se trouve être à l’origine ce nouvel emploi : elle travaillait auparavant dans une usine de fabrication de boissons rafraîchissantes jusqu’au jour où elle se coinça le doigt entre la cuve pleine et la chaîne.

« Heureusement, la blessure n’était pas grave. Je m’étais juste arraché un morceau de chair à l’extrémité de l’annulaire de la main gauche. Mais il se peut que cela ait été plus grave que je le pensais. J’avais quand même perdu une partie de mon corps. Pour autant, je n’étais pas blessée au point de provoquer de l’inquiétude dans mon entourage.»

L’image obsédante de « ce petit bivalve rose comme une fleur de cerisier, souple comme un fruit mûre », tombant au ralenti dans la limonade et restant au fond tremblotant avec les bulles, la rend désormais incapable de boire la moindre boisson gazeuse. Elle décide donc de quitter l’usine et de s’éloigner pour la première fois de ce village au bord de mer. Pour aller où ? En ville, seule, sans famille ni amis, incapable de faire quoi que ce soit d’autre que de déambuler dans les rues sans aucun but précis. C’est dans ces circonstances que ses pas la mèneront devant une annonce de recrutement collée sur le pilier en brique de l’entrée d’une vaste construction.

« Quand je l’ai découvert, j’ai pensé qu’il s’agissait d’un immeuble qui attendait la démolition. C'est-à-dire à quel point il semblait vétuste et abandonné. »

Il s’agit en fait d’un ancien foyer pour jeunes filles, un important bâtiment construit en béton défraîchi à trois étages, comportant un nombre incalculable de pièces. L’annonce est rédigée très simplement : recherche une employée de bureau, expérience et âge indifférents.

C’est en pénétrant dans ce qui est devenu un laboratoire décrépit en apparence mais d’assez bonne tenue à l’intérieur qu’elle rencontrera son futur employeur, M. Deshimaru. Devenue son assistance, elle ne tardera pas à tomber sous le charme de cet homme étrange et quelque peu vénéneux…

« L’annulaire » est mon premier roman de Yôko Ogawa. Je pense sans me tromper que c’est une très bonne pioche pour faire connaissance de son œuvre, tellement j’ai eu le sentiment d’approcher quelques-unes des obsessions essentielles de l’auteure : personnages insolites, temps et lieux incertains, contours flous, lieux clos, relations malsaines, désirs troubles, fétichisme, raffinements pervers et opacité des événements. Un style qui peut éblouir mais aussi désarçonner le lecteur.

Une très agréable découverte qui laisse néanmoins présager le meilleur comme le pire, ce genre de littérature étant tellement sur le fil du morbide et du pernicieux qu’il peut facilement tomber dans certains écueils un peu nauséeux. Quoi qu’il en soit, « L’annulaire » m’a sans aucun doute donnée envie d’aller voir plus loin !

Notons également que ce très court roman (ou longue nouvelle) a reçu les plus grandes récompenses japonaises. Le film "L’Annulaire" de Diane Bertrand est l’adaptation du roman. 


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